POLONIUS

POLONIUS

Je reviens sur l’exercice de comédien du billet précédent. La question est de mémoriser une réplique assez courte :

« Il m’a, Monseigneur, arraché cette lente permission par de laborieuses prières, et pour finir, selon ses volontés, j’ai scellé mon consentement. Je vous conjure d’le laisser partir. »

Pourquoi ce texte est-il si difficile à retenir ?

Tout d’abord, parce qu’il n’est pas « fluide ».

— Expliquez-vous ! Qu’est-ce qu’un texte fluide ?

— C’est un texte qui « coule » naturellement, selon la logique de la langue française. Avez-vous une fois dans votre vie entendu parler de « laborieuse prière » ou de « lente permission » ?

— Non, jamais, mais c’est la traduction qui le dit.

— Oui, bien sûr, c’est même une traduction très littérale. Peut-on le lui reprocher ? Shakespeare a écrit :

He hath, my lord, wrung from me my slow leave

By laboursome petition, and at last

Upon his will I seal’d my hard consent:

I do beseech you, give him leave to go.

Jugez vous-même !

— Je ne parle pas anglais, alors je vous crois sur parole.

— D’ailleurs, il y avait dans la troupe un acteur anglais, nommé Colin David Reese, grand shakespearien devant l’éternel. Il jouait le Spectre — c’est lui qu’on voit sur la photo, tirant par la bride sa marionnette de cheval grandeur nature — mais il connaissait toute la pièce par cœur en anglais. Il nous a raconté que les acteurs anglais eux-mêmes avaient du mal avec le texte et que souvent ils ne comprenaient pas vraiment ce qu’ils disaient.

— Pourquoi donc ?

— Parce que les pièces de Shakespeare sont farcies d’expressions anciennes (300 ans, cela commence à compter) ou d’allusions à des choses disparues, que plus personne ne connaît. Si on les supprime, on retire au texte son authenticité. Polonius pourrait dire platement : « Il m’a, Monseigneur, arraché cette permission par d’incessantes prières, et pour finir, selon ses volontés, je lui ai accordé mon consentement. »

— On comprend mieux, mais c’est plat. Alors, comment mémoriser ?

(À suivre)

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