LA PLUS BELLE FEMME DU MONDE ?

LA PLUS BELLE FEMME DU MONDE ?

— Dites-moi, cet Ermolao Barbaro dont vous avez parlé avec un brin de cuistrerie, n’est-ce pas celui qui a édité les comédies de Plaute ?

— Lui-même, chère Marquise, lui-même ! Au XVe siècle, il enseignait la philosophie grecque à Padoue et il a connu Pic de la Mirandole. Mais surtout, surtout, on lui doit les comédies de Plaute, autrement dit, l’alpha et l’oméga de la comédie, celui sans qui pas de Molière, pas de Goldoni, peut-être même pas de Jamel Debbouze.

— On dit qu’il en a pris un peu à son aise avec le texte, qu’il a ajouté des scènes à Amphitryon ?

— Oui, bien sûr, mais ce texte était une ruine et il en a fait l’une des meilleures comédies jamais écrites. Jugez vous-même : dans tous les manuscrits restants, transmis en lambeaux depuis l’Antiquité, il manquait un acte entier de la pièce. Et pas le moindre, celui où Jupiter, qui a pris l’apparence du mari, se retrouve face à face avec le cocu.

— Ce n’est pas très clair !

— Je résume l’intrigue : Amphitryon, le roi de Thèbes est parti à la guerre, laissant à la maison son épouse Alcmène, la plus belle femme du monde. Jupiter veut en profiter pour séduire la belle. Mais Alcmène a juré qu’elle ne tromperait jamais son mari. Que fait Jupiter ? Il prend l’apparence du mari (n’est-il pas le roi des métamorphoses ?) et se présente au palais comme s’il revenait de la guerre. Vous imaginez la suite…

— Alcmène l’accueille à bras ouverts !

— Et ils passent une nuit d’amour tellement extraordinaire que Jupiter fait arrêter le soleil pour que la nuit dure une semaine entière.

— Bigre !

— Finalement, Jupiter s’en va et devinez qui arrive au palais ? Je vous le donne en mille ?

— Le mari, qui revient vraiment de la guerre.

— Gagné ! Il croit qu’Alcmène va l’accueillir avec transports, mais elle lui dit quelque chose du genre : « Encore toi ! »

— N’est-ce pas un peu vaudevillesque ?

— Si, si, sûrement, mais le public adore !

— Et ensuite, le mari furieux part de la maison et tombe nez-à-nez avec Jupiter ?

— Tout juste ! Et le texte latin s’arrête brusquement. Il y a, comme on dit joliment, « une lacune dans les manuscrits ». Et cette lacune se trouve dans la totalité des manuscrits de l’auteur comique le plus célèbre de l’Antiquité.

— Ce qui signifie que tous les manuscrits ont été copiés à partir d’un seul exemplaire subsistant, qui comportait cette lacune ?

— C’est la seule explication possible !

— Aïe, aïe, aïe ! Et alors ?

— Et alors, arrive notre Ermolao Barbaro, qui est si bon latiniste qu’il vous pond des vers latins aussi facilement qu’il mange des spaghettis. Et il reconstitue les vers abîmés, et il écrit le quatrième acte, qui raconte le face-à-face historique entre l’homme et le dieu, pour les beaux yeux d’Alcmène.

— Magnifique !

— Tellement magnifique que, depuis ce temps-là, l’acte ajouté par Barbaro se trouve dans toutes les éditions d’Amphitryon.

— C’est vrai, je l’ai vu dans mon Petit classique Larousse.

— Amphitryon veut rentrer dans son palais et il se fait accueillir par Mercure qui lui jette les tuiles du toit pour le faire déguerpir — jolie trouvaille scénique. C’est moi qui jouais Mercure. J’adorais cette scène.

— Et qui jouait Alcmène ?

— Une étudiante surdouée nommée Pauline Charyl de Villanfray. On la voit sur la photo, avec son gros ventre (elle est supposée enceinte de huit mois et 3 semaines, puisqu’elle va accoucher d’Hercule à la fin de la pièce, mais c’est une autre histoire). Le type en peignoir chinois qui la menace, c’est Amphitryon, pas content du tout. L’année suivante, Pauline jouait la vieille Lalla Fatma, la femme de Jeha, avec son âne, dans une Assemblée des femmes algérienne de mon cru. Une surdouée, je vous dis.

— Si je vous comprends bien, vous prétendez qu’on peut ajouter un acte moderne à une pièce classique.

— Si cela se trouve, l’acte ajouté par Barbaro est meilleur que l’original perdu de Plaute.

— Je vous vois venir. Vous allez nous dire qu’on peut prendre des libertés avec la traduction d’Hamlet, ou même y ajouter un acte !

— N’exagérons pas ! La pièce durait déjà cinq heures. Pourtant, si le public en redemande… Je me demande si Baptiste n’en avait pas l’idée, mais il n’a jamais osé nous le dire.

 

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