IL A PRIS LE PIRÉE POUR UN HOMME

IL A PRIS LE PIRÉE POUR UN HOMME

— En effet, c’est une curieuse formule qui termine votre dernier billet sur Macron qui aurait pris la Guyane pour une île. Je ne vois pas le rapport.

— Rassurez-vous, elle n’est pas de moi, mais du bon La Fontaine, dans la fable intitulée Le Singe et le Dauphin. C’est donc une citation pour connaisseurs, supposée flatter les lecteurs qui connaissent La Fontaine. N’oublions pas que ces billets sont aussi des leçons de rhétorique. Un bon orateur doit flatter son auditoire, sans en avoir l’air, bien sûr.

— Et la citation est un excellent moyen de rappeler au public qu’il est cultivé et qu’il apprécie les mêmes bons auteurs que l’orateur ?

— Il faut donc la manipuler avec doigté car, si le public ne comprend pas l’allusion, l’effet sera inverse et les auditeurs penseront qu’on les prend pour des ignares, ce qui provoquera à coup sûr leur hostilité.

— Et le Pirée, donc ?

— J’y viens. Voici la fable in extenso :

Le Singe et le Dauphin

C’était chez les Grecs un usage

Que sur la mer tous voyageurs

Menaient avec eux en voyage

Singes et Chiens de Bateleurs.

Un Navire en cet équipage

Non loin d’Athènes fit naufrage,

Sans les Dauphins tout eût péri.

Cet animal est fort ami

De notre espèce : en son histoire

Pline le dit, il le faut croire.

Il sauva donc tout ce qu’il put.

Même un Singe en cette occurrence,

Profitant de la ressemblance,

Lui pensa devoir son salut.

Un Dauphin le prit pour un homme,

Et sur son dos le fit asseoir

Si gravement qu’on eût cru voir

Ce chanteur que tant on renomme.

Le Dauphin l’allait mettre à bord,

Quand, par hasard, il lui demande :

« Êtes-vous d’Athènes la grande ?

— Oui, dit l’autre ; on m’y connaît fort :

S’il vous y survient quelque affaire,

Employez-moi ; car mes parents

Y tiennent tous les premiers rangs :

Un mien cousin est Juge-Maire. »

Le Dauphin dit : « Bien grand merci :

Et le Pirée a part aussi

A l’honneur de votre présence ?

Vous le voyez souvent ? je pense.

— Tous les jours : il est mon ami,

C’est une vieille connaissance. »

Notre Magot prit, pour ce coup,

Le nom d’un port pour un nom d’homme.

De telles gens il est beaucoup

Qui prendraient Vaugirard pour Rome,

Et qui, caquetants au plus dru,

Parlent de tout, et n’ont rien vu.

Le Dauphin rit, tourne la tête,

Et, le Magot considéré,

Il s’aperçoit qu’il n’a tiré

Du fond des eaux rien qu’une bête.

Il l’y replonge, et va trouver

Quelque homme afin de le sauver.

 

Jean de La Fontaine, agrémentée d’une illustration de Gustave Doré empruntée à la Bibliothèque nationale

1 Commentaire
  • La "suivante"
    Posted at 13:54h, 30 mars Répondre

    Finalement Macron nous aura fait ouvrir notre atlas et relire La Fontaine : en marche vers la culture !

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